En coupant le pénis de son mari violent, Lorena Bobbitt a relancé le débat sur les violences conjugales aux États-Unis (2024)

L'affaire avait même traversé l'océan Atlantique à l'époque. Le 23 juin 1993, Lorena Bobbitt, 24 ans, immigrée équatorienne, sectionne le pénis de son époux, John, 26 ans, qu'elle accuse de violences conjugales et viols répétés, dans la chambre de leur petite maison de l'État de Virginie.

Lorena, série-documentaire choc d'Amazon

S'en suit l'un des procès les plus médiatisés de l'époque, relaté, décortiqué, aussi bien par les tabloïds que les publications les plus sérieuses, comme Newsweek ou le New York Times. John Bobbitt sera reconnu non coupable des faits qui lui sont reprochés, tandis que Lorena Bobbitt est aussi reconnue non coupable d'attaque au couteau avec l'intention de nuire, mais au titre d'une folie passagère. Elle est condamnée à 45 jours en hôpital psychiatrique.

Vidéo du jour

Avec la série-documentaire Lorena, de quatre épisodes d'une heure, Amazon Prime revient sur cette affaire pouvant sembler a priori comique, mais qui a fini par soulever le problème de l'impunité des violences conjugales aux États-Unis.

En mélangeant images d'archives choquantes, coupures de presse, rencontre avec les "personnages" principaux de l'époque, dont les deux intéressés, et une analyse socio-culturelle, Lorenatraite avec rigueur d'une affaire terrible, qui a failli rester dans la case "insolite" des faits-divers, alors qu'elle en disait long sur l'Amérique d'alors.

Blague de courte durée

D'emblée, quand on apprend qu'une femme a coupé le pénis de son mari, on peut avoir envie d'en rire. Ça serait presque une réaction naturelle, tellement l'acte de s'en prendre à l'attribut suprême, ancestral, de la "virilité", paraît dépasser tous les interdits et renvoie au fantasme d'une vengeance féminine sans limite.

Comment ai-je pu faire ça ?

D'ailleurs, le premier épisode de cette série-documentaire produite par Jordan Peele (Oscar du Meilleur scénario original pour Get Out) confère à la blague, l'incongru. Lorena Gallo, ex-Bobbitt, et John Bobbitt, son ex-époux, en rient même, chacun de leur côté. "Comment ai-je pu faire ça ?", se demande l'Américaine, presque embarrassée, qui dit ne pas se souvenir d'avoir jeté le morceau de pénis coupé par la fenêtre de sa voiture.

Avec exactitude mais sans jugement, Lorena relate comment cette affaire a immédiatement pris un côté "burlesque" aux yeux des médias et d'une grosse partie de l'opinion publique, et surtout, comment John Bobbitt en a joué le restant de sa vie.

Son pénis une fois recousu, et après seulement quelques mois isolé dans un ranch pour faire profil bas, l'ancien Marine a tenté sa chance dans le cinéma p*rnographique.L'indécence ne semble avoir aucune limite, lorsqu'on voit un extrait d'un film où sa partenaire à l'écran se met dans la peau de son ex-épouse. Il a également été juré lors de concours de drag queens essayant de ressembler à Lorena, et plaisantait allègrement de l'affaire dans des talk-shows radio.

À l'époque, les artistes de stand-up s'en donnent aussi à coeur-joie, commentant l'affaire la plus suivie dans le pays. Le documentaire a alors la bonne idée de faire intervenir Whoopi Goldberg, expliquant comment l'acte de Lorena a soufflé un vent de terreur sur les hommes.

Plongée dans l'horreur

Car toute cette moquerie, et cette exploitation cynique de l'affaire, éloignent du fond du problème : l'ampleur desviolences conjugales, sujet dont la politique américaine ne se soucie guère à l'époque.

Lorsque l'affaire éclate, John Bobbit est d'emblée juché au rang d'homme blessé dans sa fierté, ses frères clamant à la télévision qu'ils rêvent de tuer celle qu'il a épousée quatre ans plus tôt : "Ce qu'elle lui a fait, c'est pire que mourir", affirme l'un d'entre eux.

Ce qu'elle lui a fait, c'est pire que mourir.

Après ce premier épisode un peu déroutant, la série-documentaire d'Amazon nous fait plonger dans la mécanique horrible des violences conjugales, et là, on n'a plus du tout envie de rire. Particulièrement lorsqu'est diffusée une longue séquence où la jeune Lorena Bobbitt raconte au tribunal, en larmes, comment son mari la violait très souvent, lui disant qu'il aimait le "sexe forcé".

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La série-documentaire raconte également comment l'intéressé, par ailleurs alcoolique, et instable, a reproduit à plusieurs reprises des schémas de violence, et d'agression sexuelle, sur d'autres compagnes.

Des faits que l'intéressé nie, même encore aujourd'hui, devant la caméra. On apprend aussi, avec effroi, qu'il a contacté Lorena Gallo à de nombreuses reprises au cours des 25 dernières années, lui disant qu'elle restait son seul vrai amour.

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Porte-parole des femmes battues

Petit à petit, aux portes du tribunal, des militantes féministes commencent à apparaître, accompagnées d'immigrés équatoriens, qui y voient aussi une illustration d'un racisme crasse. Là, l'affaire prend un nouveau tournant, sociétal et politique, que la série-documentaire prend le temps d'explorer, et rappeler.

Lorena Gallo était souvent réduite dans les médias à un stéréotype de femme latine impulsive, voire folle. Cette dernière insiste d'ailleurs sur le fait qu'elle ne voulait pas prendre le risque de renoncer à son rêve américain pour son mari de l'époque.

Au fil des analyses, l'affaire se révèle comme un cas d'école de sexisme et de racisme, tout en illustrant comment peut s'installer la maltraitance psychologique et physique au sein d'un couple.

Lorena prend le parti de montrer comment une femme a fini par avoir elle-même recours à la violence face à l'inaction de la police.Des images d'archives d'élus parlementaires s'exprimant sur ce sujet à la suite de l'affaire, arguant de l'urgence à s'emparer de ce problème politique et non privé, et des interviews de membres du milieu associatif, démontrent à quel point le geste de Lorena Bobbitt a été un basculement dans l'histoire américaine.

Lorena Gallo elle-même explique savoir ce qui l'attend quand elle se rend à un talk-show humoristique, c'est-à-dire, des blagues parfois douteuses. Mais l'essentiel, pour elle, est de faire passer ce message aux femmes battues : vous n'êtes pas seules.

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