«Lorena», une histoire de violence conjugale (2024)

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Une série-documentaire coproduite par Jordan Peele («Get Out»), disponible ce vendredi en streaming sur Amazon, aborde la question des violences conjugales aux Etats-Unis à travers le cas de Lorena Bobbitt, femme violée et battue surmédiatisée au début des années90 après avoir émasculé son mari.

C'est une histoire qui débute comme un rêve américain. Nous sommes à la fin des années80. Lorena, jeune manucure latino, rencontre John, engagé dans la marine, dans un bar de Virginie. Elle a grandi au Venezuela, son anglais n'est pas très assuré. Lui porte un uniforme et se bat pour son pays. Ils tombent sous le charme, se marient un an plus tard. Elle a20ans. Son mari, de deuxans son aîné, la décrit comme «douce» et «innocente». Ils ont des allures de roi et reine de bal de promo. Les violences démarrent peu après la cérémonie. Pendant quatreans, Lorena Bobbitt dit avoir été victime d'abus physiques (son mari la bat, l'étrangle), sexuels (il la force à avoir des rapports anaux, l'oblige à avorter) et psychologiques (il menace de la faire expulser du territoire).

Une histoire de violences conjugales tristement banale qui se serait peut-être terminée par un entrefilet dans un journal local le jour où John aurait mis ses menaces à exécution et aurait tué sa femme. Le couple a pourtant été propulsé, en1993, à la une des tabloïds du pays et vu son nom tourner en boucle sur les chaînes nationales. La nuit du23juin, Lorena Bobbitt, a commis «l'impardonnable» aux yeux du public américain. La jeune femme de 24ans, après un nouveau viol conjugal, s'empare d'un couteau de cuisine et sectionne le pénis de son mari, alors qu'il est assoupi dans leur appartement de Manassas (Virginie), à quelques kilomètres de WashingtonDC. Elle s'enfuit avec, à la main, le phallus sectionné qu'elle jette par la fenêtre de sa voiture. L'organe, retrouvé dans une pelouse par la police, sera recousu au cours d'une opération de neufheures –une prouesse qui vaudra même à John Bobbitt une brève carrière dans l'industrie p*rnographique.

Le fait divers est relaté dans une série documentaire en quatre parties diffusée fin janvier au festival de Sundance et désormais disponible sur Amazon Prime Video, le service de streaming du géant du commerce en ligne. A la façon de la série Netflix Making a murderer, Lorena, réalisé par Joshua Rofé et coproduite par Jordan Peele (Get Out), donne la parole aux deux protagonistes et aux témoins de l'époque (policiers, médecins, voisins…), des interviews entrecoupées d'extraits du procès, diffusé en direct sur CNN en1994.

Plus qu’un fait divers

Pourquoi revenir, unquart de siècle après, sur l'histoire du couple Bobbitt? On se questionne, brièvement, lors du premier épisode, quand le documentaire flirte avec le cocasse, narrant sur la longueur l'ablation du membre viril (ce qui nous donne droit à une vision gore dont on aurait pu se passer) et sa quête (la police ira jusqu'à chercher dans le lave-vaisselle du couple pour le retrouver). Au fur et à mesure du visionnage, on réalise que Lorena raconte bien plus qu'un fait divers sordide. La série dépeint une société américaine dans laquelle la voix d'un homme mutilé a plus de valeur que celle de la femme qu'il a brutalisée pendant des années. Une société phallocentrée et phallocrate, dans laquelle les hommes ont le regard rivé sur leur entrejambe et un droit de vie ou de mort sur leur conjointe. «Elle a fait pire que de le tuer, elle a pris ce qui compte le plus pour un homme», s'indigne sur un plateau télé l'un des frères du mari. Quand il menace d'assassiner sa belle-sœur pour se venger, le public l'ovationne. Cette-année là, plus de2000femmes ont été tuées par leur partenaire aux Etats-Unis, sans que grand monde ne s'en émeuve.

Décrite comme manipulatrice et impétueuse par la presse à scandale, Lorena Bobbittdevient aussi, à la manière de Jacqueline Sauvage en France,le symbole de l'épouse qui se rebelle face à son mari violent. La surmédiatisation du procès,au cours duquel la jeune femme fait le récit difficilement soutenable des abus subis, libère aussi la parole de celles, nombreuses, qui ont vécu des expériences similaires. «Quelqu'un a enfin fait ce que j'ai toujours voulu faire», dit une victime dans le documentaire. Face à l'afflux de témoignages, Lorena Bobbitt –innocentée par les jurés mais internée de force en hôpital psychiatrique– réalise qu'elle n'est pas seule. «Plus je parlais avec des victimes, plus je réalisais que les histoires étaient les mêmes que les miennes», explique celle qui dirige aujourd'hui une association caritative en Virginie. Désormais remariée, laquadragénaire n'est pas pour autant débarassée de son ex-mari. L'une des dernières séquences, glaçante, la montre assise devant les dizaines de lettres qu'il lui a envoyées ces dernières années, dans l'espoir de renouer.Reconnu coupable de violences contre deux autres compagnes, John Bobbitt n'a jamais été condamné pour celles dont son épouse l'accusait.

Lorena de Joshua Rofé, sur Amazon Prime Video à partir de ce vendredi.

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Author: Ray Christiansen

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